I)Vidéo management en salles d'opération : Existe-t-il un besoin minimum ?

Mars 2021
Hervé KOEHL, Xavier PRIQUEL et Jagoda GORNICKA

Partie 1 : Identifier le besoin réel

Aujourd’hui l’hôpital, et en particulier les blocs opératoires, sont devenus des carrefours de l’innovation. On remarque un véritable foisonnement de solutions, de fonctionnalités et de technologies diverses, avec des fabricants, revendeurs ou fournisseurs qui proposent des solutions sur mesure et parfois évolutives. Ces solutions sont souvent captives et propriétaires et ne permettent pas toujours de composer soi-même sa solution à partir d'éléments choisis.

Certains de nos clients ingénieurs biomédicaux disent se sentir sous pression, déboussolés face à la course à l’innovation incessante : "La dernière techno, me la faut-il vraiment ? Comment différencier la techno gadget, de l’essentiel ?"

Une grande responsabilité repose sur leurs épaules : un investissement conséquent et en arrière-plan, la peur de faire un mauvais choix de produit (non adapté à un environnement dédié ou multidisciplinaire, non utilisé quotidiennement, ou devenu obsolète rapidement) ET d’entreprise. Car le conseil et l’accompagnement comptent beaucoup dans le résultat final et sur le long terme.

Alors comment faire le bon choix ? Qu’est-ce qui est suffisant ? Comment faire la part des choses entre le besoin réel et le gadget ?

Dans cet article nous allons vous donner des clés de compréhension et les bonnes questions à se poser pour éviter de perdre pied.

Le Vidéo Management (VM) : La vidéo ? Oui mais pas que !

Généralement, lorsqu’on lit « vidéo management », derrière ce mot, nous y mettons tout ce qui se rattache à la vidéo dans la salle d’opération à savoir les sources vidéos (endoscopes, microscopes, l’ampli de brillance….) et les moniteurs pour les afficher. C’est en partie juste, mais ce que l’on oublie souvent d’y rattacher, ce sont les informations et les images issues du réseau informatique et provenant le plus souvent des serveurs d’images radiologiques.

 

Alors, en quoi l’informatique est-elle devenue un maillon essentiel pour comprendre le VM aujourd’hui ?

 

L’évolution

Pour répondre à cela, repartons quelques années en arrière. Il y a 50-100 ans, le chirurgien opérait uniquement « à vue » et était tout seul à voir ce qu’il voyait, directement ou au moyen d’accessoires dédiés de type microscope et/ou avec des endoscopes. Ces outils, associés ensuite aux premières caméras, ont introduit des écrans de plus en plus "plats" dans les salles d’opération : il n’était plus le seul à voir ce qu’il voyait. Il pouvait le partager avec son équipe, constituée principalement de son assistant et d’une infirmière.

Pour garder une trace de son intervention, il sollicitait l'ingénieur biomédical pour l'achat d'un magnétoscope ou d'une imprimante. Ces appareils complémentaires (pas toujours médicaux) étaient généralement fournis par les fabricants de colonnes d'endoscopie. Mais ce que l'on pouvait remarquer à ce stade, c'est que le chirurgien était le seul utilisateur et gérait seul son affichage, ses photos et ses vidéos.

Cette pratique s'étant multipliée et développée au fil des années, le problème de la sécurité des données des patients a commencé à se poser à travers des supports de stockage mobiles (CD-ROM, USB, disque dur externe, etc.) " errant " dans les couloirs de l'établissement et parfois même à l'extérieur, avec des données qui n'étaient pas systématiquement référencées. Ainsi, pour assurer un minimum de sécurité, les hôpitaux ont voulu établir une traçabilité avec la centralisation des données afin qu'elles soient automatiquement rattachées au patient et pour éviter qu'elles ne soient perdues. Pour ce faire, l'informatique, déjà en cours de déploiement dans tous les autres services de l'hôpital, a donc été mise en place au bloc opératoire.

 

Imagerie médicale

Une autre évolution importante des pratiques chirurgicales a rapproché l'informatique des salles d'opération : la numérisation des images radiologiques et des scanners préopératoires. Ces données, initialement utilisées à des fins de diagnostic, ont été centralisées puis mises à la disposition des utilisateurs interconnectés. Cela a effectivement établi un lien physique entre la salle d'opération, auparavant isolée, et le reste de l'hôpital, permettant l'accès aux images PACS.

Utilisation d'images radiologiques imprimées accrochées au mur de la salle d'opération.

En bref, les pratiques grandissantes de vidéo management (générer des images et des vidéos en salle) ont renforcé le besoin de connexion de la salle d’opération avec le reste de l’établissement. Une connexion qui se fait par et grâce à l’informatique.

 

Interaction entre biomédicaux et informaticiens

Et si le VM ne se limite pas à cela, il nous a tout de même semblé important de mentionner la partie informatique. Nous constatons souvent, dans les différents projets que nous menons, un manque de proximité entre le biomédical et l'informatique, une proximité pourtant essentielle et nécessaire à la réussite de votre projet.

 

Donc, si nous revenons à la question de cet article, aujourd'hui le besoin fondamental de la gestion vidéo est devenu l'interaction de la salle d'opération avec le reste de l'hôpital. Ce besoin est le socle de base qui permet aux différentes fonctionnalités de la VM de s'exprimer : c'est en fait un prérequis.

Spectre des fonctionnalités

Relier le bloc opératoire au reste de l’établissement a donc été et est encore une réelle "révolution" pour le fonctionnement des hôpitaux et des cliniques permettant de répondre à l’enjeu de la sécurité des données patients via l'informatique. Mais pas seulement. L’informatique a ouvert "en retour" tout un champ des possibles pour la gestion vidéo.

La compréhension d’un besoin minimum en gestion vidéo passe par l’interrogation primordiale des finalités de cette vidéo au bloc opératoire : à quoi doivent servir les images affichées, enregistrées, partagées au bloc ?!

Ces questions correspondent à des besoins spécifiques, d’acteurs différents et interviennent à des moments distincts de la chirurgie.

3 niveaux graduels d’équipement

1. Premier niveau :

Elle correspond à la nécessité de "visualiser" les informations pré et peropératoires, principalement des images, provenant de différentes sources informatiques et vidéos, affichées à différents endroits dans la salle d'opération.

Ces données sont surtout utilisées avant, en consultation, et pendant la chirurgie. Bien qu’elles soient générées directement pour optimiser la chirurgie, elles sont aussi très utiles pour les autres membres de l’équipe chirurgicale : l’assistant, les infirmières, l’instrumentiste et l’anesthésiste. En effet, elles sont une source d’information pour l’équipe qui permet à chacun d’anticiper son action au fur et à mesure de l’avancée de la chirurgie. Ce qui amène un niveau important de confort et de sérénité.

2. Deuxième niveau :

Il correspond à la nécessité de "sauvegarder / stocker / archiver" les photos et vidéos générées "EN DIRECT", pendant l'opération.

Il s'agit de fonctions d'enregistrement à usage "post-chirurgical", qui bénéficient principalement au chirurgien pour l'enrichissement du dossier du patient, pour la formation, et/ou pour le processus administratif de l'hôpital afin d'assurer une certaine traçabilité.

Convertir et archiver dans un format spécifique (DICOM), qui ne peut pas être accessible et exploitable "par tout le monde", ajoute un niveau de sécurisation supplémentaire des données, qui est obligatoire dans certains pays (suivi médico-légal) mais pas encore en France.

3. Troisième niveau :

Elle correspond à un besoin de " communication ". Ces fonctions de partage(visioconférence et/ou mode streaming) sont utilisées pendant l'opération par l'opérateur pour communiquer "EN DIRECT " avec des interlocuteurs situés en dehors du bloc opératoire, sur le même site ou sur un site distant.

Qu'il s'agisse de donner des cours à des étudiants ou d'échanger ponctuellement avec des collègues, ce "mode collaboratif" est aujourd'hui une demande croissante, permettant aux hôpitaux de désencombrer les salles d'opération, tout en maintenant un niveau équivalent, voire supérieur, d'informations transmises et en garantissant le respect d'une hygiène contrôlée.

Opération partagée en streaming depuis le bloc opératoire.

Deux constats

- L' informatique intervient désormais à chaque étape de l'intervention chirurgicale. Que ce soit en amont de celle-ci pour consulter et parfois importer les données du patient disponibles sur le serveur de l'hôpital, pour échanger en mode collaboratif pendant l'intervention, pour simplement stocker sur les serveurs de l'hôpital les images prises pendant l'intervention de type PACS et / ou de les sécuriser / encapsuler au format DICOM.

- Le chirurgien n’est plus le seul décisionnaire impliqué : le VM est bel et bien un outil au service de toute l’équipe chirurgicale.

Cadrer votre besoin

Avant de choisir votre niveau d'équipement (1, 2 ou 3) en VM, vous devez vous poser un certain nombre de questions sur le projet et sa mise en oeuvre. En général, elles tournent autour de 4 sujets :

- La dimension du projet,

- La conduite du changement,

- L'aspect technique,

- L'aspect ergonomique.

La dimension du projet

En tant qu'ingénieur biomédical, votre première préoccupation sera : "Quelle est l'ampleur de mon projet ?". S'agit-il de la rénovation d'une ou plusieurs pièces, ou de la construction d'un nouveau bloc/plateau technique ?

Est-ce que vous souhaitez que vos salles soient rapidement opérationnelles pour conserver l'activité opératoire et limiter la perte d'exploitation, ou disposez-vous d’un délai suffisant ?

Est-ce que votre objectif est de tout "refaire à zéro" (sols, cloisons, courant faible, réseaux, nouvel équipement) ou au contraire, vous avez des contraintes, vous ne pouvez « remettre qu’un coup de peinture » et en profiter pour moderniser les équipements du bloc ?

Jusqu'où voulez-vous / pouvez-vous aller dans votre projet ?

Une solution existe pour chaque projet, encore faut-il bien le définir.

La conduite de changement

Lorsque vous rénovez ou construisez un bloc opératoire, vous allez apporter des changements et donc bousculer les habitudes de l'équipe chirurgicale: c'est là que le facteur humain entre en jeu.

L’idée à ce stade est donc d'essayer de mesurer le degré de changement que vous allez introduire dans ce projet.

Naturellement, lorsque vous construisez un nouveau bloc, vous aurez tendance à repartir de zéro et à introduire beaucoup de changements avec du nouveau matériel, des nouvelles manières de procéder etc. Ce changement pourra être bien vécu, compris et accepté.

Cependant, lorsque vous avez à faire à une rénovation, la résistance au changement peut se faire sentir. Vous allez devoir faire face à l’ancienne manière de fonctionner avec des outils plus anciens aussi. Exemple : supprimer l’utilisation des USB et obliger le personnel à passer par la machine et le réseau pour identifier le patient et enregistrer les images et vidéos sur le PACS ou autre serveur depuis la salle d’opération.

L'aspect technique

Dans votre analyse des besoins, vous vous demanderez si vous voulez réutiliser tout ou partie de l'équipement existant, voir même tout passer au rebut.

Si vous décidez de conserver l'équipement, vous devrez vous demander quel est l'ancienneté de ce matériel et quel sera son degré de compatibilité (c'est-à-dire le type et la nature des signaux) avec l'apport des nouvelles technologies en VM ?

En effet, l’un des enjeux pour le secteur du VM c’est de garantir une compatibilité multimarque et multi-signal, et on constate encore une importante hétérogénéité des équipements médicaux, tant au niveau des fabricants que des types et formats de signaux utilisés. La technologie ayant très vite évolué, différents types de signaux coexistent.

L'aspect ergonomique

L’idéal ergonomique doit répondre à tous les utilisateurs qui sont dans le bloc, car dorénavant, l’ensemble de l’équipe chirurgicale est concerné et tout le monde doit y trouver son compte. Par analyse ergonomique, on prendra en compte : la nature des chirurgies pratiquées, les dimensions de la salle, les différents équipements fixes et mobiles présents, la disposition et la dimension des affichages, l'emplacement des points de connexion/raccordement, l'ambiance souhaitée avec la possibilité de mettre de la musique pendant l’opération, la facilité à maintenir l’asepsie, etc. A la clé se trouve une meilleure qualité de travail et une plus grande efficacité de toute l’équipe. L’expérience patient sera ainsi nettement améliorée grâce à un vrai travail d’équipe et d’identification des besoins de chacun à réaliser en amont du projet.

CONCLUSION

En conclusion de cette première partie, pour identifier votre besoin réel, vous devez :

- Comprendre sur quoi se fonde l’infrastructure informatique de votre établissement, ses possibilités et ses limites, donc faire un bon dimensionnement du réseau

- Identifier les besoins spécifiques de l'équipe chirurgicale et les traduire en fonctionnalités VM,

- Identifier le projet de construction / rénovation / réaménagement dans son ensemble, ses enjeux et ce qu'il implique pour votre établissement de santé.

Toutes ces actions, si elles sont menées isolément, risquent de vous conduire sur une fausse piste, une solution qui ne sera pas adaptée et adoptée. Pour éviter cela, il est nécessaire d'entamer un dialogue avec toutes les parties prenantes du projet. Nous vous expliquons tout en Partie II de cet article.

Partie II : Impliquer toutes les parties prenantes et choisir la solution
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